Suis-je capable de percevoir le monde sans les filtres de mes croyances et de mes conditionnements ? Je me rends bien compte que tout ce qui se passe à l’extérieur de moi est en grande partie façonné par ce que je porte en moi. Ce sont mes croyances, mes expériences passées, mes préférences personnelles et mes conditionnements qui influencent ma manière de voir, de comprendre, et même d’interpréter le monde qui m’entoure. Mais suis-je prête à reconnaître cette réalité ? Est-ce que je peux accepter de lâcher prise sur l’illusion que je peux tout contrôler, agir sur ce qui ne dépend pas de moi ?
Cette interrogation me paraît cruciale. Chaque jour, je sens ce besoin latent de vouloir tout maîtriser. Dans ma vie quotidienne, je tente souvent d’influencer ce qui m’entoure, pensant que je peux tout contrôler, du comportement des autres à l’issue de certaines situations. Pourtant, à chaque fois que je me heurte à la résistance du monde extérieur, je réalise que ce contrôle n’est qu’une illusion. L’idée que je puisse modeler les événements et les autres à ma guise est une forme de toute-puissance que je dois parfois apprendre à lâcher.
Tout commence par mes croyances. Mais qu’est-ce qu’une croyance exactement ? Pour moi, il s’agit d’une certitude mentale, une vérité subjective que je tiens pour acquise et qui m’aide à donner du sens à mon existence. Elles se construisent au fil du temps, tout au long de ma vie, à travers mon éducation, mes rencontres, mes expériences et mes apprentissages. Elles deviennent alors une sorte de filtre mental invisible, une grille à travers laquelle j’interprète le monde extérieur.
Si, par exemple, je crois profondément que les gens sont fondamentalement égoïstes, chaque fois que quelqu’un agit d’une manière qui semble aller dans ce sens, cette croyance est renforcée. Je ne vois plus l’ensemble de la personne, mais uniquement ce qui valide ma perception. Cette manière de fonctionner devient une prison intérieure. Je ne vois plus le monde tel qu’il est, mais tel que je m’attends à ce qu’il soit, selon mes références, mes préférences et mes peurs.
À cela s’ajoute une autre forme d’enfermement : mes connaissances antérieures. Ce que j’ai appris tout au long de ma vie, les expériences que j’ai accumulées, constituent un socle sur lequel je m’appuie pour appréhender la réalité. Mais ce socle peut aussi devenir de plus en plus rigide. Je prends pour acquis que ce qui était vrai hier le sera encore aujourd’hui. Et pourtant, la vie est mouvante, changeante, imprévisible. Mes connaissances d’hier peuvent parfois m’empêcher de voir ce qui se joue ici et maintenant. Je me retrouve prisonnière d’un passé qui n’existe plus, appliquant des schémas anciens à des situations nouvelles.
Il y a aussi mes préférences. Ce sont elles qui déterminent ce qui me plaît ou me dérange. Elles orientent subtilement mes choix et mes réactions. Je privilégie ce qui me conforte, ce qui est en accord avec mes goûts, et je repousse ce qui crée de l’inconfort. Pourtant, ces préférences limitent la pleine compréhension du monde. Elles me ferment parfois à des expériences ou à des perspectives différentes.
Enfin, il y a les conditionnements qui s’inscrivent au plus profond de moi. Ils sont comme des réflexes ancrés dans mon esprit, des automatismes qui façonnent mes comportements et mes réactions. Ils sont souvent invisibles, mais ils guident pourtant la plupart de mes choix, comme une programmation cachée. Je me rends compte qu’ils dictent, en grande partie, la manière dont je réagis face aux événements extérieurs. Parfois, ils me conduisent à répéter les mêmes erreurs, à revivre les mêmes situations inconfortables, sans même que je comprenne pourquoi.
Ce que je trouve particulièrement troublant, c’est la manière dont mes croyances façonnent non seulement ma perception de la réalité, mais aussi celle des autres. Chaque jour, sans même m’en rendre compte, je suis tentée de réduire les personnes que je rencontre à ce que je projette sur elles. Mes croyances et mes conditionnements m’amènent à coller des étiquettes, à enfermer l’autre dans une case prédéfinie, dans des définitions réductrices. Cela se produit dans des situations aussi variées que la vie de famille, le travail, ou mes relations amicales.
Lorsque je rencontre quelqu’un pour la première fois, il m’arrive de me faire immédiatement une idée de qui il est, sur la base de quelques détails : son apparence, sa façon de parler, son attitude générale. Si j’ai en moi la croyance que les personnes taciturnes sont forcément distantes, alors je vais inconsciemment coller cette étiquette sur la personne en face de moi, avant même d’avoir pris le temps de la connaître vraiment. Ce premier jugement devient une barrière. Il me coupe de la possibilité d’entrer véritablement en contact avec cette personne dans toute sa complexité.
Dans ma famille, je peux facilement réduire un proche à un rôle figé, en fonction de ce que j’ai perçu de lui au fil des années. Si j’ai toujours vu un membre de ma famille comme quelqu’un de distant ou d’autoritaire, je risque de l’enfermer dans cette image, même lorsque ses comportements évoluent. Cette projection m’empêche de voir la personne dans toute sa complexité. Je n’interagis plus avec elle, mais avec une idée fixe de qui elle est.
Au travail, je remarque que ce même mécanisme se manifeste. Il m’arrive de juger un collègue sur des bases très limitées. Peut-être qu’un jour, il a fait preuve d’un manque de réactivité ou de coopération, et depuis, je le perçois comme quelqu’un de négligent ou d’indifférent. Cela influence la manière dont je communique avec lui, créant une distance qui ne fait que renforcer mon jugement initial. Cette réduction de l’autre à une seule dimension bloque la possibilité d’un dialogue ouvert et d’une collaboration authentique.
Même dans mes relations amicales, je me surprends à faire des projections. Si j’ai l’impression qu’une amie agit toujours selon ses intérêts personnels, je vais inconsciemment chercher des preuves qui confirment cette idée. Chaque petit geste qui me semble égoïste devient une validation de ma croyance, même si je n’ai pas toutes les informations sur ses motivations profondes. Cela finit par éroder la relation, car je la vois à travers un filtre réducteur, sans prendre en compte la richesse de sa personnalité.
Ce mécanisme de projection est un piège. En réduisant l’autre à une image figée, je l’empêche d’être ce qu’il est réellement. Je ne lui laisse plus la possibilité d’exister en dehors de ma perception. Je l’associe à une étiquette, je l’enferme dans une définition limitée, et cela m’empêche d’entrer en relation avec lui de manière authentique. Je le vois à travers le prisme de mes propres croyances, de mes propres expériences, et non pour ce qu’il est dans sa singularité.
Mais ce qui est encore plus subtil, c’est que je fais cela non seulement avec les autres, mais aussi avec moi-même. Je me rends bien compte que je me réduis moi-même à des images, à des traits de personnalité que j’ai intégrés au fil du temps. Je me dis par exemple que je suis une personne paresseuse, ou que je ne suis pas faite pour telle ou telle situation, cela devient une vérité que je ne remets plus en question. Ces croyances limitantes m’enferment dans une version réductrice de moi-même.
Si je veux vraiment entrer en relation avec l’autre, il me faut être prête à remettre en question ces certitudes. Ce que je crois savoir de l’autre n’est souvent qu’une construction mentale, une projection de mon propre monde intérieur. Démystifier ces croyances, c’est reconnaître que je n’ai pas accès à la réalité de l’autre dans toute sa profondeur. C’est accepter que mon regard soit limité, et que l’autre possède une existence qui échappe à mes étiquettes.
Pour parvenir à cette déconstruction de mes certitudes, il me faut cultiver l’empathie ; cette capacité à me mettre à la place de l’autre, à tenter de comprendre ce qu’il vit de l’intérieur. En me connectant à la réalité de l’autre, je commence à percevoir au-delà de mes filtres mentaux. Je ne vois plus l’autre comme un simple reflet de mes croyances, mais comme un être unique avec sa propre sensibilité.
C’est un exercice exigeant, car cela signifie faire taire mes propres attentes, mes propres projections. Cela demande de l’humilité, de reconnaître que mes perceptions ne sont jamais la vérité absolue. Mais cette ouverture à l’autre me permet de me libérer des croyances rigides qui m’enferment. Je découvre que l’autre est bien plus complexe que ce que je pensais. Je me rapproche de lui, non pas à travers mes idées préconçues, mais à travers une écoute authentique.
Au-delà de la projection sur autrui, il y a une autre dimension à cette réflexion : l’illusion du contrôle. Pendant longtemps, j’ai cru que je pouvais tout contrôler, ou presque. Que je pouvais influencer les autres (« Si je fais telle chose, il ou elle m’acceptera forcement ! »), orienter le cours des événements («Changer de file dans un embouteillage pour aller plus vite, répéter un souhait à voix haute pour qu’il se réalise,... »), et parfois même forcer la réalité à correspondre à mes attentes (« Souffler sur les dés avant de les lancer, appuyer plusieurs fois sur le bouton de l’ascenseur pour le faire arriver plus vite, ... »). Mais au fil du temps, je me rends compte que cette illusion de contrôle me fait plus de mal que de bien. Elle me plonge dans une tension constante, car je lutte contre des éléments qui échappent à ma volonté.
Je comprends maintenant que je ne peux pas tout contrôler. Je ne peux pas imposer à l’autre d’être ce que je voudrais qu’il soit. Je ne peux pas manipuler le monde extérieur pour qu’il corresponde parfaitement à mes désirs. Accepter cela, c’est renoncer à une forme de toute-puissance illusoire. C’est reconnaître que certaines choses échappent à mon contrôle, et que cela fait partie de la vie.
Renoncer à ce besoin de contrôle est un acte de libération. Cela me permet de me concentrer sur ce que je peux réellement influencer : ma propre perception, mes propres réactions. Plutôt que d’essayer de forcer la réalité à changer, je peux travailler sur la manière dont je la perçois. Je peux choisir d’aborder les situations avec plus de souplesse, en acceptant que certaines choses ne dépendent pas de moi.
Ce lâcher-prise m’apporte une grande paix intérieure. Plus je relâche mon besoin de tout maîtriser, plus je découvre une nouvelle légèreté dans ma vie. Je peux apprécier les choses pour ce qu’elles sont, sans les juger ou vouloir les changer à tout prix. Je peux être pleinement dans l’instant présent, sans tenter de le manipuler. C’est une liberté nouvelle, qui repose sur l’acceptation plutôt que sur la maîtrise.
En fin de compte, cette réflexion sur mes croyances, mes perceptions et l’illusion du contrôle m’ouvre à une nouvelle manière d’être au monde. J’accepte que ce que je vois à l’extérieur de moi soit souvent une projection de ce qui se passe à l’intérieur. Mais loin de m’enfermer dans cette idée, cela me permet de prendre du recul, de voir mes croyances pour ce qu’elles sont : des constructions mentales, et non des vérités absolues.
Renoncer à l’illusion de tout contrôler, c’est accepter l’incertitude, l’imprévu, et la complexité de l’autre. C’est reconnaître que je ne possède pas toutes les clés pour comprendre pleinement ceux qui m’entourent, ni pour maîtriser chaque situation. Cela ne signifie pas renoncer à agir ou à comprendre, mais plutôt agir avec plus de lucidité, de compassion, et d’humilité.
Cette démarche, je la vois comme une invitation à la contemplation. Contempler mes propres croyances, sans les juger, pour les observer avec bienveillance. Contempler l’autre, non pas à travers mes filtres, mais dans sa réalité propre, avec une ouverture d’esprit et de cœur. Contempler le monde dans toute sa richesse et sa complexité, sans vouloir le réduire à des étiquettes ou des certitudes. C’est, je crois, un chemin vers une relation plus authentique avec moi-même et avec les autres.